vendredi 15 août 2014

Sonia



« Avons-nous donc commis une action étrange ?
Explique, si tu peux, mon trouble et mon effroi :
Je frissonne de peur quand tu me dis : " Mon ange ! "
Et cependant je sens ma bouche aller vers toi.

Ne me regarde pas ainsi, toi, ma pensée !
Toi que j'aime à jamais, ma sœur d'élection,
Quand même tu serais une embûche dressée
Et le commencement de ma perdition ! »

Charles Baudelaire, les Fleurs du Mal.


Nacyra se tenait assise sur les remparts, les genoux humblement repliés contre le ventre. Elle contemplait, d’un regard mélancolique, le paysage rude et austère du Nord. La taïga. Quand soudain, une silhouette féline, dénudée, se détache entre deux sapins. Un souffle. Sonia. Elle se redresse vivement, avance encore, comme si elle allait se jeter dans le vide pour la rejoindre. Elle l’appelle d’une voix vibrante : « Sonia ! »

Sonia laisse son regard voyager sur la muraille naturelle avant que ses prunelles ne s'arrêtent sur une silhouette en hauteur. Sonia décide d'approche, son corps ondulant au déroulé de ses pas qui la mènent vers cette double porte. Là, elle s'immobilise, un instant, étirant son être sous la caresse du soleil alors qu'elle relève lentement ses yeux bleus vers les hauteurs où son nom résonne.

Nacyra a les yeux écarquillés. Est-ce un rêve ? Un cauchemar, peut-être. Peu importe, elle compte en profiter et elle hésite quelques secondes à sauter dans le vide, inconsciente du danger. Mais finalement, elle se fait raisonnable et s’élance vers les portes pour les ouvrir : « C’est Sonia ! », dit-elle au garde qui ne comprend rien mais qui ne semble pas désirer intervenir. Elle se retrouve face à elle. Un sourire un peu douloureux fronce sa bouche : « Toi… »

Sonia ondule lascivement face à Etain alors qu'elle vient torturer avec insolence sa lèvre carmin. Elle baisse un regard d'un bleu aussi glacé que les lacs gelés du grand nord pour détailler l'être qui se tient devant elle. « Y en aurait-il d'autres ? » sa voix n'est qu'un envoutement aussi sournois qu'ambigu..

Nacyra n’a pas le droit, normalement, de mettre un pied en dehors de l’enceinte du village. Mais pour Sonia, elle irait peut-être à l’autre bout du monde. Elle vient poser les deux mains sur les épaules de la brune, ses doigts fins s’y crispent. Elle frissonne. Son regard d’azur plonge dans celui de la Cruelle. Leurs corps se rencontrent, brutalement d’abord puis le contact s’achève avec plus de douceur : « Heureusement que non… », lui murmure-t-elle tout en se pressant contre son corps voluptueux.

Sonia vient glisser cruellement un main dans les reins d'Etain, ses ongles marquant son chemin alors que l'autre, plongeant dans sa tignasse, elle lui tire durement la tête en arrière. Leurs corps étreints l'un contre l'autre, Sonia penche la tête vers le visage d'Etain, son regard toujours aussi glacial alors qu'une flamme brulante vibre à ses prunelles. Elle entrouvre les lèvres comme pour parler mais aucun son ne sort, juste un souffle chaud qui vient effleurer les lèvres d'Etain, leurs visages proches, surement trop proche.

Nacyra fait glisser ses mains tremblantes derrière la nuque de Sonia. Cette dernière empoigne la chevelure de feu, sans ménagement. Le cœur d’Etain s’emballe. La griffure des mains de la démone vient torturer la chair laiteuse. Petit gémissement. Frémissement. Etain ferme les yeux : « Ma Sonia… », couine-t-elle sur un ton souffreteux. Son bassin se presse contre le sien. Elle pourra la sentir palpiter contre elle alors que le temps s’arrête. Même le vent du Nord semble s’être tu.

Sonia relève lentement son visage, sa vue sur celui d'Etain s'élargissant alors qu'elle libère la tignasse, sa main lentement glissant sur son cou. Elle effleure sa peau du bout des ongles, délicatement la marque avant de soudainement la saisir au niveau de la gorge, serrant alors qu'elle revient torturer sa lèvre de ses dents blanches, venant percer cette peau délicate d'où une goutte carmin vient perler.

Nacyra écarquille les yeux. Un instant, la stupeur marque les traits juvéniles de son minois. Sonia, Sigfried… Elle se surprend à se demander lequel lui évoque l’autre. Mais la surprise laisse rapidement place à la passion et ses lèvres malmenées par les crocs de la belle viennent lui arracher un baiser sulfureux, épousant les siennes avec frénésie. Elle ne lutte pas contre la main qui met sa vie en péril en la privant d’air. Elle recule le visage, rompant le baiser avec brutalité pour plonger le regard dans celui de Sonia et lui demander en un souffle : « T’aurais-je manqué ? »

Sonia continue de serrer la gorge d'Etain, la privant d'air mais c'est un plaisir qu'elle maitrise à la perfection sachant parfaitement jusqu'ou aller. Elle aurait préféré une étendue d'eau mais elle se contentera de sa main se resserrant sur cette gorge délicate. Puis elle vient lecher cette perle carmin avant de relever le menton, passant la langue sur ses lèvres dans une curelle sensualité. Elle laisse le temps en suspend un instant avant que sa bouche ne s'ourle dans un sourire licencieux et de répondre d'une voix veloutée : « Non. »

Nacyra se met alors à rire. D’un rire d’enfant, étrangement innocent. Il y a comme une lueur folle dans ce regard qu’elle offre à Sonia. Il y a quelques années, cette réponse l’aurait blessée au plus profond car elle avait aimé la brune de tout son être. Mais le temps assèche les cœurs et durcit les âmes en y instillant son terrible venin et la réponse de la Cruelle l’amuse plus qu’elle ne l’attriste : « Je n’en attendais pas moins de toi… », lui glisse-t-elle avec langueur. Ses doigts viennent aussi se glisser autour de la gorge de Sonia, ils se contenteront cependant d’en caresser la chair avec douceur.

Sonia resserre sa main sur la gorge d'Etain la privant d'autant plus de la liberté d'air alors qu'elle entrouvre très légèrement les lèvres d'où s'échappe a un souffle chaud. Son autre main quitte les reins pour retomber le long de son corps non sans avoir effleurer de ses ongles la peau laiteuse de l'esclave. Elle ne quitte pas des yeux le regard doucement fou, s'y délectant alors que le sien vibre d'une lueur malsaine.

Nacyra soutient son regard tandis que l’oxygène ne parvient plus que de manière sporadique jusqu’à ses poumons. Un long frisson s’attarde sur son corps frêle et ses mains qui cajolaient le cou de Sonia deviennent plus lâches, leurs mouvements devenant mous et frémissants. Les prunelles céruléennes de la rousse brillent d’un éclat tentateur : tue-la disent-elles à Sonia. Sers plus fort jusqu’à ce qu’elle tombe à tes pieds, inerte et brisée. Ses lèvres roses s’entrouvrent, comme pour chercher quelque souffle salvateur mais l’air froid qu’elles happent se trouve bloqué au seuil de sa gorge.

Sonia maintient toujours sa cruelle prise sur la gorge d'Etain sachant parfaitement jusqu'où elle peut aller. Elle ne tuera pas celle qui fut sa soeur de chaine juste parce que son regard lui demande, simple esprit de contradiction, surement pas. Elle roule doucement de la tête profitant de la douceur des doigts d'Etain sur sa peau, les sentant fébriles alors que son propre souffle devient plus chaud.

Nacyra rit à nouveau, douloureusement cette fois et sans innocence. Elle reprend le dessus, son corps s’habituant à la pénible sensation d’étranglement dans laquelle Sonia la maintient. Sa main droite roule jusqu’à la ronde épaule de son bourreau, ses doigts s’y crispent, ses ongles s’y enfoncent. Sa main gauche suit le même chemin. Quelques secondes s’écoulent ainsi, durant lesquelles elle se délecte de sa vulnérabilité et de la toute-puissance de la brune. Puis, sans crier gare, elle la repousse violemment d’un brutale impulsion sur ses épaules, la contraignant à se détacher d’elle.

Sonia laisse échapper un soupire de plaisir en sentant à son épaule une main s'y crisper mais c'est surtout la douleur qu'éveille les ongles qui s'enfonce qui l'envahit de désir. Elle ne cherche même pas à résister à l'impulsion quand Etain la repousse, laissant ses ongles s'enfoncer dans son cou pour marquer sa peau de fines zébrures carmin avant que sa main ne s'éloigne définitivement de sa gorge. Elle n'aura fait qu'un pas en arrière pour maintenir son équilibre, son corps ondulant cruellement, ses prunelles d'un bleu aussi glacial qu'un lac gelé ne quittant pas Nacyra. C'est alors qu'elle rit, laissant les sonorités licencieuses d'un rire cristallin s'élever dans les airs.

Nacyra ne prêtera pas non plus attention aux bruitages du dessus. Ses pupilles, dardées sur Sonia, se dilatent légèrement. Elle reprend son souffle, haletante, contemplant Sonia d’un œil si passionné qu’il paraît chargé de haine. Elle sourit avec extase. Quelques secondes s’écoulent. Elle s’enivre du rire de Sonia, de la douleur qui enflamme sa gorge, du parfum de la brune qui a embaumé ses narines et qui lui semble s’insinuer jusqu’aux tréfonds de son âme. Subitement, elle revient à la charge, enlaçant la garce avec violence, faisant s’entrechoquer leurs corps dans un bruit sourd et liant leurs bouches en un baiser sauvage.

Sigfried soupire et détaille enfin ce qu'il se passe en bas : « Je rêve ou tu es en train d'essayer d'éviter tes corvées ? », le ton de sa voix s'était fait plus cinglant sur ses derniers mots.

Nacyra met un certain temps à réagir à la voix de Sigfried. Comme s’il lui fallait passer d’un monde à un autre et que le voyage demandait quelque effort interminable. Brusquement, sa langue cesse de valser dans la bouche humide de Sonia et ses ongles s’enfoncent impunément dans la peau mate de celle-ci. Elle reste immobile, comme captive de cette étreinte qu’elle a pourtant initiée elle-même. Puis ses lèvres délaissent celles de la garce, ses bras se dénouent avec fluidité. Elle retire la main de la brune qui repose sur sa cuisse. Elle ne répond pas au Nordique mais vient plonger ses yeux clairs dans le regard malsain de Sonia. Frisson. Elle plisse les yeux : « Dégage », dit-elle froidement, « Je n’ai plus besoin de toi, Sonia… » Elle tremble. Elle ment, peut-être. Peut-être pas.

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