jeudi 2 juillet 2015

Mētztli - La danse du soleil

 La légende voulait que les Esprits de Schendi enlevassent parfois les nouveau-nés, substituant un leurre (un de leurs enfants ou un simple sortilège) au nourrisson volé.

Ces êtres échangés avaient la réputation d'être malingres et de ne pas grandir normalement, d'être vicieux et instables. Rejetés par les Mambas, ils n'en étaient pas moins craints puisque considérés comme des Esprits. Cela les condamnait généralement à la solitude ou à l'exil.

Comme d'autres éléments du Folklore, cette légende servait en réalité à masquer les adultères ou à préserver les géniteurs de la honte d'avoir engendré un être fragile, difforme ou déséquilibré.

C'est ainsi que Mētztli, née avec une peau trop pâle, renommée "Lune" dans la langue antique et sacrée de Schendi, fut reniée par ses parents au nom d'un mythe et devint une Iliyopita. Une enfant échangée.
 
 
 
 
Les deux femmes étaient seules. Ka’Nefer se tenait assise dans un coin de la hutte. A la lueur des torches, Mētztli distinguait assez clairement les traits graves du visage buriné de la vieille Sangoma. Sa peau fripée avait la couleur ambrée habituelle des habitants de la jungle. Elle portait une tunique de lin blanc, un peu élimée, qui était trop large pour épouser correctement son corps efflanqué. Mētztli, au contraire, avait le teint d’une pâleur presque inhumaine. La jeunesse de cette dernière offrait un contraste saisissant avec l’âge avancé de la chamane.

« Ce sera bientôt le solstice d’été… », annonça Ka’Nefer, « …mais je n’ai pas la force, cette année, d’aller faire la danse du soleil au Grand Temple. C’est toi qui iras. »

Mētztli écarquilla les yeux. Elle ne s’y attendait pas. Tous les ans, la Sangoma partait durant plusieurs semaines pour accomplir cette fameuse danse qui permettait au soleil de continuer de briller, au monde de continuait d’exister. Elle n’avait jamais apporté de détails au sujet de celle-ci, la faisant paraître comme étant presque tabou, secrète, sacrée.

« Tu devras apprendre par cœur le rituel, Mētztli. Tu ne feras plus que cela jusqu’à ton départ. »

La jeune femme se contenta d’acquiescer. L’excitation la gagnait peu à peu, en même temps que l’inquiétude montait. C’était une grande responsabilité qui allait reposer sur ses frêles épaules.

« Tu dois savoir, avant tout, que cette danse est dangereuse. Tu pourrais en mourir. »

Mētztli devint encore plus pâle qu’elle ne l’était de nature.

« Tu devras d’abord te rendre au Grand Temple des Anciens, au cœur de la jungle. Iztac t’y mènera puis repartira. Il te faudra alors survivre seule. Reste toujours à l’écart des camps. Les Mambas et les Pygmées devraient te laisser en paix, ils savent que les Esprits refusent qu’on blesse les Iliyopitas. Les Talunas, en revanche, pourraient s’en prendre à toi… »

« Je serai prudente », fit Mētztli avec entrain.

« La danse du soleil débute lors de la nuit du solstice d’été. Les trois lunes seront pleines. Elle se termine au coucher du soleil, le soir suivant. »

« Elle dure donc presque une journée entière », constata la jeune femme.

« C’est cela. La première partie, la danse de la lune, te fera danser jusqu’au lever du soleil. Ce n’est pas la plus difficile. Je t’enseignerai les mouvements de celle-ci durant les jours qui suivent. »

Ka’Nefer marqua une pause dans ses explications. Elle semblait émue. Elle regarda longuement l’enfant frêle qui se tenait face à elle avant de reprendre d’une voix tremblante.

« C’est au lever du soleil que les choses se compliquent. Tu devras continuer de danser mais en regardant le soleil. Ensuite, pour poursuivre la danse, il te faudra te mutiler. Tu inciseras la chair du haut de tes deux bras, par deux fois. Tu y glisseras ces bijoux. »

Elle désigna des barres de métal doré, d'or peut-être, dont les extrémités étaient lourdement ornées de plumes et de perles accrochées le long d’un fil.

« Cela fait, tu danseras à nouveau. Les mouvements de tes bras permettront aux bijoux de se libérer, à un moment ou à un autre, arrachant la peau qui les retient prisonniers. »

Mētztli grimaça en imaginant la scène. Cela devait être affreusement douloureux… Cela expliquait en partie les cicatrices qui ornaient les bras maigres de la Sangoma : l’enfant s’était toujours imaginé qu’elles étaient dues à quelque combat épique avec un fauve redoutable… C’était, en réalité, le fruit de  plusieurs années de danse du soleil.

« Tu ne cesseras de danser que lorsque tous les bijoux seront tombés. Tu te couvriras alors de ce manteau », elle désigna une étoffe sombre dont le col était orné de fourrure et d’or, « et tu t’agenouilleras, face au soleil, les bras croisés sur ton ventre et la tête inclinée. Tu resteras ainsi jusqu’au crépuscule. »

Il y avait, dans le regard de l’enfant, un certain effroi à la pensée de ce qu’elle allait devoir accomplir mais la spiritualité et le sacré occupaient une place importante dans sa vie. Cela rendait cette idée presque tolérable.

« Je t’ai préparé un paquet de feuilles de sauge. Tu les appliqueras sur tes blessures et tu t’allongeras au centre du Grand Temple. Tu ne te relèveras que le jour suivant. »

Ka’Nefer se leva. Elle s’avança, lentement, vers la jeune femme et elle lui caressa doucement la joue dans un geste réconfortant.

« Durant toute la période de la danse, tu devras jeûner. »

Elle la serra dans ses bras, sans force mais avec une tendresse immense.

« Je serai fière de toi quand tu rentreras, Mētztli. »