vendredi 22 août 2014

Shimaro


 « Brûlant comme un volcan, profond comme le vide !
Rien ne rassasiera ce monstre gémissant
Et ne rafraîchira la soif de l'Euménide
Qui, la torche à la main, le brûle jusqu'au sang.

Que nos rideaux fermés nous séparent du monde,
Et que la lassitude amène le repos !
Je veux m'anéantir dans ta gorge profonde,
Et trouver sur ton sein la fraîcheur des tombeaux ! 
»
Charles Baudelaire, les Fleurs du Mal


Poison s'avance devant la cage son couteau dans la main, la mamba, n'est pas en forme en ce moment, ses pensées sont noires ainsi que son regard, elle passera le couteau sur les barreaux faisant crisser le métal dans un fracas assourdissant..et d'une voix glaciale elle dira : « Hou... Réveille-toi ! »

L’innommable relève le nez lorsque des bruits de pas retentissent dans les grottes, troublant l’habituelle rumeur du lieu. Elle ne dort plus depuis plusieurs heures, se tenant assise. Sur ses épaules est étalée une couverture qu’une inahan lui a donnée sur demande de Tarik. Elle n’a plus froid mais ne semble pas pour autant particulièrement en forme. Elle se relève mollement, laissant tomber l’étoffe par terre, pour se diriger d’un pas lent vers la grille. Elle ne viendra pas s’y coller cette fois, gardant ses distances. Son regard mauve s’arrête sur le couteau. Elle plisse les yeux : « Hm ? »

Poison plante son regard sur la belle au sol, la détaillant d'une froideur mortelle… puis ses pupilles iront se poser sur son couteau, le fixant dans sa main, le faisant tourner lentement… en silence… comme si elle le caressait : « Dis moi... qu'est ce que tu es ? »

L’innommable réajuste tant bien mal sa chevelure autour de son visage, chassant de ses yeux les mèches rebelles qui envahissent son champ de vision. Après plusieurs jours et plusieurs nuits passés dans cette cellule, elle est devenue sale, puante, et sa peau s’est totalement débarrassée de l’odeur sucrée du parfum qu’elle portait sur elle autrefois. Ses iris délaissent le couteau, pourtant peu rassurant, pour venir se planter dans celles de la Mamba : « Tout dépend du point de vue… » commence-t-elle d’un ton paisible, sa voix dénote toutefois moins d’assurance qu’elle n’en avait la première fois qu’elles se sont rencontrées, « pour certains je suis un monstre », elle s’approche finalement davantage de la grille – à ses risques et périls, elle le sait- : « pour d’autres une arme » Son regard s’échappe pour fixer un point invisible au fond des grottes : « enfin, certains voient en moi la clé du paradis. »

Poison vient poser le couteau sur sa joue, comme pour sentir sa froideur et s'en imprégner, son regard revient vers la fille, soutenant le sien, s'y plongeant, comme si elle cherchait à capter ses pensées. Sa main tenant l'arme glisse le long de sa joue jusqu'à son cou comme si elle allait s'entailler elle même la peau..Les pensées morbides s'agitent dans son esprit tourmenté.. « moi, je vais te dire ce que je vois..un animal dangereux… Qu'as tu fait à l'Inkosi au juste? Pourquoi, sachant ce que tu es, l’as-tu poussé à te mordre… Veux-tu mourir ? »

L’innommable a eu à boire mais n’a pas mangé depuis plus d’un jour et la faim tiraille cruellement son estomac. Elle ne réclamera rien cependant. L’oubli de nourriture n’a probablement rien d’une erreur, elle a même été étonnée qu’on lui donne de l’eau et de quoi se réchauffer… Elle croise les bras sur son buste, écrasant sa poitrine de ses mains : « Ton In-ko-si… » ne connaissant pas ce mot, elle l’articule avec lenteur, détachant les syllabes, « …venait de m’annoncer qu’il allait me dévorer le cœur. »

Elle marque une petite pause, la laissant prendre la pleine mesure de ce projet : « Mon sang l’a chamboulé, rien de grave. Imagine une seconde ce que manger mon cœur lui aurait fait… » Un sourire franchement malsain s’est peu à peu dessiné sur ses lèvres. Elle avait tout simplement sauvé la vie d’Al’Ka.

Poison décale ses cheveux collés par les larmes de la veille derrière ses oreilles, elle a perdu tout sourire, toute émotion. Elle semble froide et pale comme la mort. Le couteau revient à sa ceinture. Aucun geste ne sera fait pour apaiser la faim de la captive, elle n'aura pas de pitié… Rien ne transparaît de son visage, pareil à un masque de cire « Nous sommes… cannibales… J'ai vu le changement d'état de mon Inkosi quand ton sang est entré en lui… Sais-tu que si l'Inkosi perd de sa force, je te tuerai sans faire couler le sang ? »

L’innommable ne cesse pas une seconde de sourire, ses iris s’accrochant au couteau finalement rangé. Elle vient à nouveau les darder dans les émeraudes scintillantes de la Mamba, la fixant avec intensité : « En effet, vous êtes cannibales. Et j’aurais pu garder le silence sur ma nature. Combien d’entre vous seraient morts en me dévorant ? » L’aura de mort qui plane autour d’elle semble s’être renforcée.

 Le mal oscille dans son regard violet : « Ton Inkosi ne perdra rien de sa force. Je l’ai expliqué à votre soigneuse hier, ce qu’il a bu est un antidote. Le seul risque est qu’il ait envie d’y revenir… » Tout cela semble l’amuser malgré son propre état de faiblesse et de vulnérabilité totale : « Tu sais… Quand on a vécu comme j’ai vécu, c’est-à-dire en n’étant qu’un outil pour donner la mort ou un jouet… Mourir n’a rien de tragique. »

Poison  s'approche de la cage, et vient capter les barreaux de ses doigts..elle n'a pas peur de cette fille, au contraire, cette aura morbide qui émane d'elle l'intrigue ; cette ambivalence, entre malice et sensualité la ramène à un être enfoui du passé. Shimaro… L'homme qu'elle a tué de ses mains, le meurtrier de sa jumelle, avait cette même étrange lueur dans le regard, cette irrésistible présence. Il arrivait pas son regard malsain et accrocheur à la rendre accro à lui.

Ses doigts viennent serrer le métal, elle glisse vers le bas lentement ses prunelles toujours défiant celles de la captive : « envie d'y revenir? donc… ton sang est une drogue ? »

L’innommable vient, avec prudence, poser sa main sur celle de la Mamba. Elle pourra sentir la dureté des ongles longs de l’innommable tandis que ses doigts déliés se referment sur la peau tendre : « Mon créateur ne l’avait pas prévu… Probablement a-t-il commis quelque erreur. Mon sang est une drogue. » Son pygmalion lui-même est d’ailleurs tombé dans le piège, pourtant pleinement conscient de l’écueil dans lequel il se précipitait… Mais ce n’était pas cela qui l’avait tué, après tout : « Ton Inkosi n’a bu que quelques gouttes. Je ne pense pas que cela puisse le rendre dépendant physiquement parlant. Cependant… »

 Le ton de sa voix baisse, elle se met quasiment à murmurer comme pour défier l’écho des grottes : « Il peut désirer, mentalement donc, éprouver à nouveau ce qu’il a éprouvé quand il l’a bu. »

Poison ne bouge pas, ne tressaute même pas quand la main de la brune se referme sur la sienne, ses prunelles fauves sont plongées dans les siennes. Elle peut voir Shimaro en elle, le dessine mentalement, irrésistible image et terrifiante en même temps… La peur de s'y plonger à nouveau, dominée par celle d'y succomber. Elle a bien une fille en face d'elle, Poison n'a jamais été attirée par le sexe féminin, mais ses pensées morbides la ramènent à un passé qu'elle a effacé de sa mémoire pour ne plus s'y replonger. «  l'Inkosi… » revenant à l'objet de la discussion « il va vouloir prendre ton sang… encore donc ? »

L’innommable perçoit facilement l’étrange attirance qui fait briller les prunelles sauvages de la Mamba. Elle s’en délecte. Ses doigts pianotent sur la main de la jeune femme. Peu à peu, monte en elle le désir brutal de l’embrasser violemment. Dévorer ses lèvres de baisers. Insuffler la mort en elle et la voir dépérir, peu à peu, devenir plus faible de jour en jour.

Elle s’humecte les lèvres : « Je ne peux pas le dire… Tout dépend de sa force mentale. Il aura probablement compris qu’il s’agit d’une drogue. Je suppose que votre soigneuse l’aura mis en garde… » Elle avance légèrement le visage vers elle : « C’est un être colérique et impulsif, il peut avoir aimé n’éprouver plus aucune émotion vive. Qui n’aimerait pas, après tout, ne ressentir aucun désir ? Aucun besoin ? » Sa voix se fait plus rauque : « Juste la plénitude… »

Poison perd pied revenant à ses pensées ancrées dans son mental éprouvé des derniers jours, le fantôme de Shimaro se faisant de plus en plus présent..elle le sent dans la pièce, il flotte autour de la brune, comme pour la torturer..mais aussi l'attirer..Son visage s'approche en même temps que celui de la fille, ses yeux ne la quitte pas..elle murmure à présent les mots tandis que leurs bouches s'approchent.. « Shimaro..ne si kunidhuru (Shimaro, ne me fais pas mal) » pas du tout consciente qu'un baiser pourrait la tuer..bien trop ..happée par cette aura destructrice..

L’innommable écarquille les yeux en réalisant qu’elle évoque quelqu’un à la Mamba. Shimaro. Une évocation assez forte pour que la jeune femme vienne se jeter elle-même au fond du gouffre. Un frisson d’excitation court le long de l’échine de l’innommable. L’embrasser. Elle-même est attirée par cette fragilité soudaine. Cette grande guerrière qui s’offre, si vulnérable…

Elle se mord la lèvre inférieure. La douleur. Souviens-toi. Tu ne peux pas tuer si on ne te l’a pas ordonné. Tu n’es pas un électron libre. Tu es une arme. Tu ne tues pas sans ordre. Elle pousse un râle de mécontentement. Sa main se détache de celle de sa victime et elle s’écarte brusquement de la grille.

Tarik se rapprochait des cages en baillant largement. Waki lui avait dit qu'il libérerait Isha aujourd'hui et elle commençait a penser qu'elle aurait peut-être mieux fait de la piquer la veille… Elle lorgnait vers le coin réserves, vers les cuisines espérant y voir le sleen demandé à Goobah mais rien...

 Rien dans les cages à part... à part la fille empoisonnée… Elle émergeait et se rendait compte l'espace d'un instant que poison était trop proche d'elle et même qu'elle la touchait.... Elle grognait d'un coup et posait la main sur l'épaule de Poison pour la repousser vivement en arrière  « SSHAAA la touches pas ! ! ! »

Poison reste la un moment sans bouger totalement absente, ne percevant pas la présence de Tarik dans son dos, totalement dans ce rêve éveillé... Elle est prête à s'offrir à cette tentatrice, lui rappelant bien trop un passé encore terrifiant. Et c'est au moment ou la brune se détachera d'elle, qu'elle réalisera ou elle se trouve..clignant des yeux pour émerger.. « que.. » Ses sourcils se fronceront, sa respiration deviendra haletante, et elle reculera de plusieurs pas en arrière… très loin de cette cage, posant sa main sur sa gorge comme si elle manquait d'air.

L’innommable les regarde toutes les deux, découpées par le quadrillage régulier de la grille qui les sépare d’elles. Elle se met alors à rire. D’un rire terrifiant qui emplit les grottes et que l’écho vient amplifier, un rire absolument diabolique. La Mamba a de la chance qu’on l’ait éduquée à obéir. Mais avec le temps, peut-être parviendra-t-elle à tuer sur caprice… Elle rira durant de longs instants. Ses iris transpercent Poison de part en part depuis les ténèbres où elle se tient. Puis ses lèvres se referment, laissant le silence envahir progressivement les souterrains. Elle tremble. Pas de froid ni de peur. D’excitation.

Ses mains se crispent : « Partez… » fait-elle d’une voix menaçante, « je ne suis plus d’humeur. » Et elle pivote sur ses pieds pour aller s’enfouir dans le fond de sa geôle.

Tarik avait les sourcils froncés et elle semblait en colère… Elle n'était pas comme Anpao, bien plus terre a terre et elle ne croyait pas autant que les mambas aux esprits et aux dieux quels qu'ils soient... Elle savait que Mahlaheka avait vu quelque chose dans le ciel , quelque chose qui avait foudroyé d'un éclair aveuglant tout un village, le réduisant en cendres, elle l'avait crue pour la simple et bonne raison qu'elle avait vu des choses étranges près de Sardar... Les tarns qui ne pouvaient pas voler au dessus des monts et qui s'écrasaient au sol, perdant le don du vol... Les prêtres rois, elle ne croyait qu'a leur existence… et encore, Tarik était de ceux qui ont besoin de voir pour croire… Anpao aurait surement vu une aura sombre chez la fille empoisonnée ou quelque chose qui se rapporterait à la possession mais pas Tarik, pour elle, la drogue qui l'habitait offrait des hallucinations, comme le kanda ... ces palpitations, ces images irréelles, son imagination.

La black venait près de sa sœur et grognait, la peur de la l'empoisonnement surement la faisant réagir ainsi « ne l'approche plus, son poison est dangereux et  sûrement addictif, ne l'approche plus yebo ? »

Poison secoue la tête pour sortir de cet état semi comateux, elle grogne ses lèvres se retroussant tandis que son corps plie sous le poids de cette vulnérabilité... Shimaro était encore venu la hanter, elle ne se sortira jamais de son emprise… Il finira un jour par la tuer. Un feulement de rage fera écho à travers la grotte, un autre pas en arrière... La respiration qui se coupe, l'air qui raréfie… La mamba a de la peine à le retrouver, elle inspire de façon saccadée comme si elle étouffait littéralement. Sa main sur sa gorge se durcit tandis que sa soeur vient contre elle pour l'avertir : « je dois so... sortir de la » courant vers l'extérieur.

L’innommable vient presser le front contre la paroi froide et humide. Elle ferme les yeux. La faim qui la dévore n’arrange rien. Elle était prête à perdre totalement le contrôle. De l’arme à la meurtrière, la frontière est si fine… Sa respiration et son pouls se sont emballés. Elle fait crisser ses ongles contre la pierre. Un geignement plaintif s’échappe d’entre ses lèvres : « Oh, ma douce… Je te prendrai un jour, oui, je te prendrai… Et tu seras mienne, jusqu’à ce que la mort t’emporte… Oui…. » Elle glisse à genoux, face au mur. Ses murmures s’éteignent. Une douce léthargie vient l’étreindre. Elle est fatiguée. Ses paupières se ferment sur quelques larmes. Son esprit divague. Faim. Mais de quoi, exactement ?

Tarik lançait un regard noir vers l'esclave en cage... ses yeux vairon se fixant sur la fille un instant.. On pouvait y ressentir la colère et la déception... Elle avait accordé du crédit a l'étrangère et à ses paroles, dans sa tête, elle en avait assez dit pour paraitre de bonne foi et Tarik avait pensé que sincèrement, elle ne voulait pas d'mal à sa tribu mais la.... Sha! Ca semblait lui plaire de rendre "fous" les siens... Elle marmonnait, s'accroupissant sur le sol pour aller ouvrir son sac de soin et récupérer le valarion : « Tu es mauvaise, kajira, mais je promets que tant que je serais vivante, tu ne tueras pas mes frères et sœurs ».

Elle se relevait lentement, se prenant des coups de pieds du bébé dans le ventre de la part du bébé... Son cœur battait une mesure au dessus, la colère l'avait emportée quelques minutes ... fallait se calmer, il le fallait, elle avait le col ouvert de trois doigts... Munie de sa potion elle tournait les talons, jetant un dernier regard sur la fille, l'autre main sur son ventre

L’innommable ne l’entendra pas, perdue dans les limbes noirs de son esprit instable. Sa respiration se calmera peu à peu et elle sombrera dans l’inconscience. Un sommeil sans rêves, comme toujours. Le néant. Tout son corps se relâche. Est-elle vraiment mauvaise ? N’a-t-elle pas déjà épargné deux Mambas ? Ne seraient-ils pas tous morts si elle l’avait vraiment désiré ?

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