vendredi 22 août 2014

L'eau

L’innommable se redresse nonchalamment. Son esprit lui paraît plus brumeux que jamais, comme engourdi par le sommeil profond dans lequel elle s’est plongée des heures durant. Sa bouche est pâteuse, ses jambes cotonneuses et son corps douloureux par endroits. Surtout, elle masse son bras gauche. Elle a bandé la morsure avec un morceau de l’étoffe brunâtre qui la vêtait auparavant. Elle grelotte. L’humidité et le froid lui semblent grignoter peu à peu ses chairs tendres. A cet infâme tourment s’ajoutent le déchirement de la faim et l’inquiétude de la soif. Elle claque des dents, maudissant encore une fois l’inconstance presque lunatique de son corps, tantôt brûlant, tantôt gelé. Rarement tranquillisé. L’innommable se met à faire les cent pas dans sa geôle, espérant réchauffer sa peau transie.

Isha se décide à se redresser, lentement, même si son corps a commencé à retrouver sa force... déliant ses membres dans un mouvement fluide. Elle continue de secouer lentement la tête, son regard vrillé sur le mâle maintenant « cha… Isha pas vouloir nyama... toi donner maji (eau) » un grognement plus dangereux alors qu'elle ne cache plus sa colère. Elle reste encore là, plantée au centre mais son corps commence à prendre une pose d'attaque.

Shabaka la fixait d'un regard en biais, il allait pour répondre mais il fut distrait par le mouvement dans la geôle d’à coté. Il se redressa en silence pour aller voir de quoi il retournait, l'outre à la main, le bol de viande toujours au sol, et il prit garde de rester a bonne distance des barreaux. Il détailla la seconde silhouette en plissant les yeux.

L’innommable ne cesse de marcher, longeant les bords de la cellule comme le ferait un fauve en cage. Sa respiration est plutôt calme mais elle est trop profonde, trop sourde pour être totalement naturelle et traduit une certaine nervosité. Son bras l’élance comme jamais, comme s’il venait d’être mordu, comme si les crocs du Mamba étaient restés ancrés dedans pour en raviver la plaie. Elle remarque la silhouette, devant sa cage, mais n’arrête pas son manège pour autant. Ses iris viennent se braquer sur lui dès que possible, effroyablement froids, retournant se poser sur les parois suintantes de la geôle dès lors qu’elle lui tourne le dos.

Isha se sera jetée sur la grille avec force, la faisant résonner dans la grande salle...un grognement de rage accompagnant le geste instinctif et colérique. Elle n'avait pas aimé l'ignorance du mâle qui s'amusait à titiller sa soif afin qu'elle vide ce stupide bol de viande cuite... La rousse n'a pas faim et jeter la viande hors du bol pour qu'il soit vide... c'est pas son genre de gaspiller de la chair précieuse... même cuite. Elle hurle de rage, tend la main à travers les barreaux : « Donne ! Maji ! (eau) » retirant de suite sa main pour reculer au fond de la cage... elle sait qu'elle sature de cette cage à tenter de montrer qu'elle accepte sa punition… Mais c'est trop là. Elle n'en peut plus. Encore, elle lâche un cri hystérique

Shabaka ne s'amusait guère, il espérait peut-être paraitre plus avenant avec un sourire, mais il semblerait qu'elle ne l'ait pas perçut ainsi. Il la laissa vociférer et profita d'une brève accalmie pour exposer calmement : « Cette eau est pour toi, mais je ne peux te donner l'outre et je ne tiens pas à te faire laper le sol. Il n'y a que ce bol. Hurler ne changera rien. A moins que tu veuilles l'eau en même temps que la viande ? »

L’innommable s’arrête finalement auprès des barreaux. Son corps aux courbes affriolantes se découpe à travers le quadrillage régulier de la grille. Ses doigts viennent se poser sur le métal rouillé, resserrant rapidement leur emprise dessus. Elle se met à humer l’air en direction du jeune homme tout en le déshabillant du regard. Elle frissonne. Un sourire étrange naît à la commissure de ses lèvres, finissant par les ouvrir pour dévoiler sa dentition blanche. Ses prunelles violettes vibrent. Elle sursaute, s’écartant quelques secondes de la grille. Les grottes tremblent quasiment sous l’ire de la créature d’à côté. Sa propre colère, sa propre souffrance y trouvent un écho absolument sublime. Un petit râle de contentement s’échappe de sa bouche souriante.

Goob'ah était au sous sol près du feu, il regarde Poison s'éloigner avec Tel'nek... et soudainement, il entend Isha qui se met à hurler de rage, le cri vient apparemment de la cage dans laquelle il l'a enfermé. Il se raidit sur le coup, mais instinctivement, il se met à gronder, le regard devenant comme celui d'un prédateur, il se dirige vers la cage.

Isha lance un regard vers la direction de la voix, sifflant sa colère à travers ses dents serrées...  Ses doigts se baladeront nerveusement sur la roche qui transpire l'humidité, comme si elle cherchait à se retenir pour ne pas aller se cogner contre la grille... « Isha pouvoir avoir outre, Maji (eau)... Isha être Jang'ka... donne ! » murmure-t-elle de sa voix cassée, se forçant à se calmer pour ne pas paraitre encore trop dangereuse face aux siens… La rousse sent la présence d'un autre... ses ongles s'enfonçant dans le peu de mousse qui colle à la roche… Elle gronde et commence à humer pour capter l'identité de l'autre.

Shabaka l'outre toujours en main, il fronçait légèrement les sourcils, ça allait lui retomber dessus si y avait une boulette et il était prodigieusement agacé devant cette perspective vu qu'il ignorait encore bon nombre des habitudes des Jang'Ka. Elle faisait parti des leurs pour sur, mais elle était enfermée entre 4 murs pour avoir fait courir toute la tribu à travers le pays a cause d'une simple piqure... pour ce qu'il en avait compris du moins. Qui lui disait qu'elle n'éventrerait pas l'outre ou s'en servirait de manière détourner. Il hésitait très franchement.

Goob'ah s'approche des cage, le nez plissé, il gronde, et ses pupilles animales scannent rapidement les lieux, commençant par la cage d'Isha pour voir ce qu'elle fait, il jette également un coup d'oeil rapidement vers l'invité au coté et la captive dans l'autre cage, montrant un peu ses dents qui sont serrés, sa mâchoire contractée, il s’avance vers la cage d'Isha en la fixant dangereusement, il semble la mettre au défi d'hurler a nouveau... En remarquant la posture animale et défensive d'Isha, il se met à gronder de plus belle...

Shabaka sortit de sa contemplation et considérera le Jang'ka qui venait d'arriver, il tombait bien celui-là. Quand au bol de viande pour Isha, il était toujours posé au sol prêt des barreaux pour qu'elle se serve et il refroidissait sans rien ne demander à personne.

L’innommable revient sans tarder se presser contre les barreaux de sa cage. Elle note l’arrivée d’un autre Mamba, ayant probablement entendu les cris de la captive. Elle-même a faim et soif mais elle ne réclamera rien. On l’a habituée à endurer. Elle suppliera peut-être dans quelques heures. Dans quelques jours, elle ne sait pas. Son corps grelotte toujours. C’est surtout cela qui la trouble. Ce froid qui pénètre jusque dans les pores de sa peau, qui s’insinue au plus profond de son organisme, qui gèle jusqu’à ses os qui lui semblent pétrifiés. Sa voix s’élève dans l’atmosphère humide des grottes : « Mettez-moi dans la cage avec elle, je lui apporterai la quiétude dont elle a besoin… » Le ton est presque plaintif, suppliant.

Isha tourne la tête vers Goobah dont l'odeur connue sera venue jusqu'à elle… Elle détache lentement ses doigts de la roche humide, son corps se tournant vers lui pour lui faire face. Vu les grondements que le mâle émet, elle comprend que c'est encore elle qui risque d'écoper alors qu'elle a l'impression qu’on s'amuse à la titiller depuis le monde extérieur. Elle n'a pas envie de manger la viande, préférant jeûner et attendre sa sortie pour aller chasser dans la jungle… D'un geste boudeur, elle désigne la direction de Shaba, disant simplement : « Isha Maji (eau)... Kiume pas vouloir… » son regard est vrillé sur Goob ; on dirait une enfant devant s'expliquer face à un adulte..

Goob'ah renifle bruyamment sans quitter Isha des yeux, il repère le bol de viande devant la cage en une fraction de seconde, mais il relève ses regard sévères vers Isha aussitôt. Il continue de fixer la férale rousse mais il entend quand même la captive de l'autre cage, mais ne semble pas répondre sur le coup, trop tendu, il continue de gronder vers Isha, espérant qu'elle se calme et qu'elle ne bondisse pas sur la grille en hurlant. Il entends alors ce qui dit Isha mais semble continuer de gronder un moment, mais sa colère s'envole rapidement, il arque un sourcil et s’avance plus près de la cage, soupirant: « Pas ... hurler » dit-il tout simplement… Puis il s'empare d'une gourde au niveau de son kilt, et d'un coup il glisse son bras a travers les barreau pour la tendre a la férale: « Maji. »

Shabaka douta sincèrement de pouvoir en faire autant sans perdre un doigt. Il reporta brièvement l'attention sur l'autre captive qui ne semblait pas en meilleur état que la rousse et il se risqua a demander vers le feral : « Peut-on donner de l'eau à l'autre également ? »

Goob'ah tourne lentement son regard vers Shabaka, en gardant son avant bras qui est passé a travers la grille, il tends toujours la gourde vers Isha mais il la serre tres fort, elle ne pourra pas lui arracher des mains, a moins qu'elle... ne tente vraiment de forcer. Il semble un peu exaspéré, toujours tendu en regardant Shabaka puis il hoche la tête en signe d'approbation: « Yebo (oui) Maji être... vitale »

L’innommable pousse un petit soupir en comprenant qu’ils ne céderont probablement pas à cette folle prière. Son buste s’affaisse légèrement contre les barreaux et une légère contrariété vient marquer les traits harmonieux de son minois. Cependant, l’un d’eux semble songer à lui donner à boire ce qui suscite l’intérêt de la jeune femme. Elle redresse le museau d’un air avide. Ses lèvres et sa gorge sont asséchées… Par bonheur, ces deux là n’ont pas croisé Al’Ka qui lui a gentiment annoncé qu’il voulait la voir mourir de soif. Peut-être a-t-il mal supporté son sang ? Elle fait une risette innocente tout en fixant celui qui va étancher sa soif.

Shabaka hocha le menton et alla donc tendre l'outre à la brunette, la tenant devant les barreau a porté de main de la donzelle. Comme elle semblait plus calme il se montra un peu moins réticent a approcher, sans pour autant baisser la garde, c'est toujours fourbe et prêt a tout un captif, quelques soit la région, ça c'était une vérité absolue.

L’innommable saisit l’outre avec une délicatesse qui ne ment pas : c’est une esclave très bien éduquée : « Merci. » Elle l’ouvre précieusement, comme si elle prenait un malin plaisir à allonger son propre tourment. Enfin, elle pénètre ses lèvres avec le goulot et se met à boire à petites gorgées. Elle renverse le visage en arrière afin d’hydrater plus vite. Un plaisir certain flotte sur son visage lorsqu’elle retire l’outre de sa bouche. Elle pousse un profond soupir de satisfaction avant de contempler le goulot scintillant de sa salive… Petite moue hésitante. Elle ne dira rien. Elle a vidé l’outre, ils la rinceront bien en la remplissant. Sinon, tant pis pour celui qui y boira. Elle tend le contenant vide au Mamba, répétant simplement : « Merci. »

Shabaka n'est pas mamba, mais il récupérera l'outre et pencha la tête sur le coté en la fixant, intrigué : « C'est toi qui prétends avoir tué deux gardes et qui éloigne les bêtes sauvages ? »

L’innommable penche la tête sur le côté tout en observant l’individu plus en détail : « Je ne les ai pas tués », fait-elle d’une voix un peu tremblante, « ils sont morts. » Elle a toujours aussi froid. Elle se frictionne les épaules avec frénésie : « Tués par leur propre bêtise », ajoute-t-elle d’un ton un peu énigmatique. Elle se met à sourire, sans innocence cette fois mais avec vice : « Les bêtes sauvages sont plus intelligentes. »

Shabaka resta songeur un moment : « Par leur propre bêtise ? »

L’innommable semble avoir repris un peu du poil de la bête. Une certaine ironie gagne ses iris mauves et son sourire n’a de cesse de se renforcer : « Et oui, la bêtise fait plus de ravages qu’on ne le croit… », souffle-t-elle d’un ton presque malicieux. Elle ne semble pas vouloir en dire plus. Si sa peau n’était pas si gelée, elle se trouverait presque à son aise, à converser ici.

Shabaka étira un large sourire de petit con : « Je le crois, tu semble parfaitement l'illustrer ainsi derrière ta grille » il y avait quelques choses de volontairement niais là-dedans et ça sentait le foutage de gueule sur les bords. Il ajoutait plus sérieusement : « Pour vider une outre entière qui ne t'était pas destinée, c'est surement que tu ignores quand tu pourras boire à nouveau. J'espère que tu n'auras pas d'avantage de désagréments maintenant que tu l'a engloutie… », voulant simplement tester la réaction de la brunette et pourquoi pas alourdir quelque peu son séjour ici, elle n'avait que ça a faire de cogiter derrière cette grille, et l'esprit pouvait vagabonder trèèès loin avec l'imagination.

L’innommable hausse un sourcil face aux remarques du jeune homme. Cherche-t-il donc à la provoquer, à l’abri, de l’autre côté des barreaux ? Elle se met à rire. Sans gaieté. Avec acrimonie. Elle-même sait pertinemment qu’elle n’est en rien responsable de sa position derrière la grille, aussi la première moquerie n’a-t-elle guère de prise. La seconde la laissera aussi de marbre. Elle a vécu bien pire et on l’a tourmentée avec plus de cruauté et d’habilité que ne pourra jamais le faire ce freluquet. Son rire s’éteint finalement, laissant quelques traces d’hilarité sur son minois. Elle le dévisage de haut en bas, sans mot dire. Elle ne lui répondra tout simplement pas, se contentant d’un sourire licencieux et d’une œillade dédaigneuse.

Shabaka gardait un léger sourire : « Si jamais tu avais mal au ventre dans la nuit, il sera sûrement inutile d'appeler... » et il se détourna tranquillement en remportant l'outre.

L’innommable lâche un petit soupir, déduisant des propos du jeune homme que l’eau qu’il lui a donnée est probablement empoisonnée. L’empoisonneuse empoisonnée, voilà un bel exemple de l’ironie du sort. Cependant, son esprit cogitant à la vitesse de l’éclair, se souvient que cette fameuse outre était à l’origine destinée à la captive de la cellule voisine… Peut-être se moque-t-il simplement d’elle. Elle hausse les épaules, se disant que le temps lui apporterait bien la réponse. Les yeux plissés, elle suit du regard la silhouette qui s’éloigne, se demandant ce qu’elle a bien pu faire à celui-ci pour qu’il se mette en tête de la torturer.

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