jeudi 17 juillet 2014

Armés


S'Wari s'avance vers Al’Ka. C'est le petit matin et le soleil jette déjà ses rayons sur la jungle, entraînant un jeu de clair obscur sous la cime dense des arbres. Elle est levée depuis longtemps déjà, aimant la fraîcheur qui règne aux premières heures du jour : « Hou mon Inkosi ! » Elle a plusieurs choses à lui montrer et ça tombe bien qu'il soit là et que le camp soit calme.

Al’Ka rêvasse également, le regard perdu vers les cimes des palmiers recouvrant leur jungle. Ses traits tirés marquent une certaine inquiétude pour son peuple. La guerre, ce sont des blessés, des morts, des risques… Tout ça compensé par l’adrénaline du combat. Ce qu’il cherche à trouver… C’est la solution de secours en cas de défaite pour que son peuple survive. Le « Hou » qu’il offre sera étouffé et presque grognon.

S’Wari perçoit l’anxiété du Mamba. Elle aussi, l’imminence de la guerre l’inquiète. Durant sa longue vie, elle a vécu plusieurs guerres et aucune d’entre elles ne lui a laissé un souvenir plaisant. Des vies arrachées, des terres brûlées, des larmes vaines et des enfants orphelins… Elle pourrait aisément reprocher à l’Inkosi d’avoir été trop belliqueux mais elle n’en dira rien. Sa main diaphane vient se poser sur le bras de celui-ci : « J’ai des surprises pour toi… », lui souffle-t-elle d’un ton plus apaisant qu’enthousiaste.

Al’Ka se détache de la jungle pour venir fixer ce visage clair. S'Wari a un pouvoir inconscient sur lui qui l’amène au calme… C’est assez rare comme sentiment mais le simple contact d’une main minuscule le fait sourire. Il se penche légèrement comme s il cherchait a diminuer la différence de taille entre le male et la femelle « Zawadi ? »

S’Wari fait glisser subtilement ses doigts sur le bras de l’Inkosi, descendant le long de celui-ci : « Yebo, zawadi kwa ajili yenu » (Oui, des cadeaux pour toi). Sa main heurte finalement celle d’Al’Ka. Elle tire dessus pour l’emmener avec elle. Elle l’entraîne jusque dans le coin où, parmi les herbes hautes, elle accumule ses trouvailles. Jusqu’ici, il n’y avait rien de fabuleux là-dedans. Des plantes, des branchages… Mais depuis peu… : « Anafunga macho yake » (ferme les yeux), lui ordonne-t-elle avec espièglerie tout en se penchant afin d’y saisir quelque chose.

Al’Ka penche le visage de coté et vient le temps de cet instant particulier oublier la stratégie de la guerre pour des moments de vie simple.  Il se sent presque un gamin quand les doigts croisent les siens pour l’entraîner de l'autre côté du camp.  C’est un guerrier armé jusqu’aux dents qui suivra docilement la frêle femelle en fermant les yeux. Il trichera un instant en entrouvrant une paupière pour repérer le lieu avant de fermer sagement le regard. Le jeu des questions réponses démarrait : « Kuliwa ? » (Ça se mange ?)

S’Wari se met à rire face à la première question du Mamba : « Si kweli ! » (Pas vraiment !) Sa main droite fouine quelques secondes avant de rencontrer ce qu’elle cherche, se refermant dessus avec détermination : « Nimepata Wakiza chini ya mto » (Je l’ai trouvé avec Wakiza au fond de la rivière), précise-t-elle sans pour autant révéler la nature du cadeau.

Al’Ka garde les yeux clos et se redresse en attendant le contact . L indice ne l'aide pas vraiment et le bruit de bric-à-brac ne lui permet pas de déterminer une matière pour son "cadeau". Les lèvres s'entrouvrent pour afficher une grimace chafouine, les crocs se révélant une furtive seconde avant de disparaitre dans un faciès contrarié... Ça se bouffe pas donc.. rien qui agite ses papilles ..Il réfléchit rapidement a ce qui peut se trouver dans une rivière du Schendi.. Tss.. de ... l'eau... Bon il réfléchit encore... Awww... Le mythe des pierres précieuses « Yakuti Samawi ? » (Saphirs ?)

S’Wari  rejette la proposition : « ni muhimu zaidi » (C’est plus utile). Elle soulève finalement l’objet, assez maladroitement car celui-ci est un peu trop lourd pour la force de son bras. Précieusement, elle l’amène dans la main d’Al’Ka qui peut désormais sentir la forme régulière de la garde d’une épée. Les prunelles de la blonde errent quelques instants sur l’arme : c’est une épée à une main dont la lame est assez courte. Son pommeau, taillé dans l’ivoire, est de forme sphérique.

Al’Ka  tend la main comme un aveugle .On ne pourra pas lui reprocher de ne pas jouer le jeu en tout cas .  son sourire s'étire doucement en sentant du bout des doigts la dureté du glaive .  C'est comme un truc instinctif qui doit être de naissance chez les mâles, la main s'ajuste sur le pommeau et vient d 'un geste souple soulever l'arme et la tendre devant lui . Son regard fauve ne s'ouvrira qu'a cet instant pour admirer ce Zawadi unique .. La beauté de l'arme se révèle. .son côté unique aussi et la matière en ivoire est caressée comme un truc précieux . La surprise lui fera dire une connerie : « Haina Kukua katika mito » (Ça ne pousse pas dans l'eau). Il tournait un regard brillant vers la jeune Ibahan et se penchera sur elle pour venir dans un geste bestial qui lui est propre frotter sa joue contre la sienne .La barbe rappe la douceur de cette peau et vient la marquer de son odeur « Ninapenda Mengi .. Kushknda Na » (Je l'aime beaucoup. . je gagnerai avec)

« Asante Mine »

S’Wari ferme les yeux lorsque leurs joues se rencontrent. Son cœur tambourine. Un sourire naît sur ses lèvres parce qu’à cet instant elle se sent bien. Elle profite du moment. Peu à peu, parmi les Jang’Ka et auprès de lui, elle se sent renaître. Elle qui n’y croyait plus, qui se pensait perdue à jamais, salie par une existence rendue difficile par les actions vicieuses du destin… Elle se retrouve. De longs instants s’écoulent ainsi, dans un silence presque opaque. Elle l’admire, la tête basculée en arrière pour le contempler de toute sa hauteur : « Wewe kulipwa. » (Tu gagneras) finit-elle par dire tout en lui souriant avec affection avant d’ajouter : « Sisi kupatikana Upanga wakati mimi nilikuwa kutafuta kitu kingine » (Nous avons trouvé cette épée alors que je cherchais autre chose dans l’eau), elle se penche à nouveau dans les herbes hautes : « Kitu zinahitajika ili kufanya hii… » (quelque chose dont j’avais besoin pour fabriquer ceci…)

Al’Ka se recule finalement, brisant le contact et venant complice passer sa main sur l'échine de la jeune kike à collier . S'Wari n'en a pas conscience mais elle affiche à cet instant tout ce qui plait à l'Inkosi .  La curiosité , l'esprit d initiative et le soutien sans faille aux événements Jang Ka . Inquiet de la voir dans l ombre il découvre que l'intelligence de la Blanche va aider son peuple... Son savoir. Sa connaissance de l'autre monde . Il relève béatement sa nouvelle arme.. sa langue passant sur une de ses dents biseautée comme s il se voyait deja transpercer un corps avec et savourer le gout du sang .Surprise numéro deux annoncée lui fait baisser le regard... Fabriquer... Il s'intéresse à la nouvelle trouvaille en s'accroupissant à ses côtés.

S’wari révèle le second objet. Elle éprouve d’autant plus de fierté à le montrer que c’est elle qui l’a fabriqué. Certes, Wakiza l’a aidée à se procurer certains matériaux pour lesquels il fallait tuer et dépecer des bêtes… Elle tourne le minois vers Al’Ka alors qu’elle brandit l’étrange instrument sous son nez : « Wakiza aliniambia alikuwa na kufanya silaha na mambo ya jungle » (Wakiza m'a dit qu'il fallait fabriquer une arme avec des éléments de la jungle). Ce qu’elle lui montre est une lyre, sa caisse de résonnance étant faite à partir d’une carapace de tortue, surplombée de deux bras réalisés à l’aide de corne de tarsk. Les cordes, accrochées au joug de bois qui relie le haut des cornes, sont des tendons du même animal. Il y en a huit : « Mimi daima amekuwa silaha wala kutoa kifo » (J’ai toujours préféré les armes qui ne donnent pas la mort), lui souffle-t-elle d’un ton suave, presque comme si c’était une confidence.

Al’Ka n'a jamais vu de truc comme ça et ses doigts crasseux iront forcement tripoter l'objet pour faire connaissance. Le contact avec un des tendons créé un bruit mat et sourd qui le fait reculer d'un bond. Il grogne, agacé d avoir été surpris et vient étirer la main et faire vibrer plusieurs cordes pour créer un son lent descendant la gamme. Il se redresse de toute sa hauteur... bah alors ça... on dirait presque le bruit du vent qui claque dans les fissures des roches  « Ajabu » (Etonnant). Il se recule d'un pas et lui désigne l'instrument et s'exprimera en goréen : « Fais sortir le son de notre victoire S'Wari ..nous danserons a la gloire du sang »

S'Wari ne peut retenir un sourire attendri lorsque l'Inkosi découvre les sons des cordes de la lyre, qu'elle a pris un certain temps à accorder. Elle lui répond en goréen : « Je célébrerai notre èpinikia, le chant de notre victoire. » Ses doigts viennent jouer sur les cordes de l'instrument, mutins, avant de s'arrêter pour laisser place à sa voix : « Il y aura une dernière surprise. Une surprise qui se mange. Mais il faut attendre plusieurs jours pour qu'elle soit prête. », elle lui sourit avec malice, « Tu verras, ça a un rapport avec le livre que tu m'as offert... »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire