samedi 6 décembre 2014

Heureux soient ceux que la jungle dévore

Poppée avance dans la jungle d’un pas alerte et confiant, comme l’on foule une terre conquise. Elle n’arrête sa marche que lorsqu’une silhouette féminine, armée, entre dans son champ de vision. Elle croise alors les bras sur sa poitrine, se dressant de toute sa hauteur. Sous la surface irrégulière du masque de fer, ses yeux clairs pétillent de satisfaction et sa voix extasiée s’y joint en chœur :

« Je le savais cihuāpil-li, que la jungle nous réunirait à nouveau. »

Poison  s'avance arc à la main dans la jungle qu'elle connait parfaitement jusqu'a tomber sur une fille qu'elle reconnait de suite à son odeur. La mamba se fige, l'observant pas rassurée, son assurance...lui file toujours ces frissons que seuls les esprits peuvent lui donner. Mais, elle ne laisse rien paraitre, son menton se relève tandis que son arme est tenu fermement en main.

" Hou kike... Je pensais que tu ne reviendrai plus "

Poppée la détaille de haut en bas d’un regard prédateur : « Je reviens toujours. Tôt ou tard. Certaines l’ont réalisé pour leur plus grand malheur… »

Elle s’avance d’un pas de plus. Son visage s’incline légèrement. Elle fixe l’arc de la Mamba : « J’étais en mauvaise posture, la dernière fois. Affaiblie et blessée au plus profond. » Elle redresse la tête. Sa voix prend un ton complaisant : « Ce n’est plus le cas. Je suis à nouveau totalement libre. »

Et cela sonne presque comme une menace.

Poison la fixe ou du moins essaie, le masque qui recouvre son visage ne lui permettant pas de saisir ces expressions ce qui la rend encore plus nerveuse. La fille fait comme si elles se connaissaient, comme si elle venait presque pour elle...et les menaces sonnent dans chacun de ses mots. Est elle venue la capturer ce jour, la mamba compte tout de même sur son habilité à l'arc qu'elle empoigne si fort qu'elle en a mal à la main. Par sa voix, elle essaie de ne rien dessiner de son malaise, se nimbant de sa carapace insensibilité qui rend le ton glacial..

"Et que viens tu faire ici, kike ? "


Poppée s’avance encore. Elle ne paraît pas craindre l’arc et n’a même pas pris la peine de dégainer le sien. Son assurance est-elle légitime ou n’est-t-elle qu’un gros coup de bluff ? Elles se retrouvent face à face : « Je suis trop proche maintenant, cihuāpil-li, tu peux ranger ton arc », fait-elle sur un ton taquin. Elle laisse s’écouler quelques secondes. Elle paraît tirer quelque plaisir de ces instants de tension.

Puis, elle reprend, d’une voix plus douce. Presque lénifiante. « J’ai déposé ici une gamine que j’ai sauvée, il y a quelques jours. Cela m’intéresse de savoir ce qu’elle est devenue. »


Poison  tressaille quand la rouquine s'approche de plus en plus d'elle pour se retrouver à quelques pas, au point qu'elle pourrait fonde sur elle à coups de crocs. Mais, elle ne bouge pas, son arc toujours serré dans sa main ne sera pas rangé, elle profite de cette proximité pour la renifler un peu plus, geste instinctif afin de connaitre la proie, essayer d'en deviner les intentions.

"Cette fille que tu as ramenée.. a disparu... nous ne l'avons jamais revue" dira-t-elle jetant un coup d’œil à l'endroit ou le féral les avaient surprises.

Poppée secoue la tête négativement : « Je ne parle pas de celle-ci. Je n’ai pas sauvé celle qui se cachait derrière l’arbre. Elle était là, c’est tout. Et si ni vous ni moi ne l’avons sauvé, on peut imaginer qu’elle est morte. »

Elle marque un long silence avant de reprendre, toujours sur le même ton doucereux : « J’ai laissé une gamine muette auprès de ce camp, il y a quelques jours, après l’avoir sauvée. » Ses iris se plantent dans ceux de Poison : « Vous l’avez forcément trouvée. »

Poison fronçe les sourcils quand Poppée parle en fait d'Atalante, la jeune muette perdue dans son mutisme qu'elle avait découverte ici, ya quelques jours. La mamba se tend un peu plus, fixant la rouquine de ses yeux fauves..

"Que lui as tu fait pour qu'elle soit comme cela ? " sa voix devenant plus forte, sans agressivité mais curiosité.."nous l'avons recueillie, elle est Jang'ka à présent"

Poppée  pousse un petit soupir : « Jamais je ne ferais de mal à une petite fille innocente. » Il y a une pointe de reproche dans le timbre de sa voix. Son regard délaisse celui de Poison pour aller se perdre au loin : « Je suis tombée sur une scène bien étrange… Un homme armé qui entraînait une petite fille avec lui dans la jungle. Je les ai suivis. Un jour, ils se sont arrêtés et il a levé son arme sur elle. Il allait la tuer. Je ne sais pas pourquoi un homme de cité prendrait la peine de traîner une esclave muette jusque dans la jungle s’il veut simplement la tuer… » La situation paraît l’intriguer : « Quoi qu’il en soit, j’ai abattu cet idiot. On ne tue pas d’innocents dans la jungle. Les esprits ne le tolèreraient pas. »

Poison suit le regard de Poppée quand il se perd au loin, elle l'observe attentive à chaque souffle, chaque parole respirant cette odeur entêtante à plein poumons..."elle est traumatisée, perdue dans un lac de silence...il s'est murée dans l'enfance pour échapper à des souvenirs qui pourraient la détruire..mais elle est jang'ka à présent, nous l'aideront à se sortir de là, si elle le souhaite... nous l'aideront à survivre, si elle veux vivre..la jungle tue bien plus que les kiumes..."


Poppée  hausse les épaules : « La jungle ne tue pas seulement. Elle dévore. Furaha ni wale ambao unakula msitu [Heureux soient ceux que la jungle dévore].» Sa voix est plus grave, plus sérieuse. Elle souffle : « Je savais que vous en prendriez soin. Les enfants de la jungle ont l’air dur et cruel et probablement le sont-ils… Mais ils savent reconnaître les innocents. » Ses iris viennent se perdre dans le regard émeraude de Poison : « Je suis seule à présent. Seule et libre. Et je ne veux plus de compagnons, je ne pouvais pas la garder. »

Poison plisse le regard, elle mettra la tête sur le coté pour observer cette fille si étrange..cette impression de la connaitre la frappe, mais elle ne perçoit plus cette crainte de l'esprit.."la fille sera inahan, mais elle doit montrer ce qu'elle sait faire..sinon, elle mourra..." exprimera t'elle en soupirant. Dans son ancienne tribu, Atalante aurait été tuée directement, les faibles ne survivant pas plus de quelques jours.." tu vas repartir donc?..."

Poppée acquiesce pensivement : « N’oublie pas, cihuāpil-li. Le malheur finit toujours pas s’abattre sur ceux qui ont tué des innocents alors que ce n’était pas nécessaire. » Elle paraît prendre un plaisir certain à balancer ainsi des menaces ésotériques, presque comme si elle avait quelque lien intime avec les esprits qui hantent la jungle. « Je vais repartir, oui. Je ne suis pas suicidaire. Les tiens ne supporteront pas ma présence, nous le savons toutes les deux… » Il y a une pointe de déception dans le ton de sa voix mais elle ravale rapidement celle-ci : « mais… », elle commence à tourner les talons, pivotant sur elle-même avec vélocité :

 « …Si tu te sens perdue, cihuāpil-li, je serai là. »

Poison se fige à nouveau quand Poppée parle de malheur, elle se sent directement concernée, portée par cette culpabilité d'avoir tué des innocents, pendant la guerre entre la tribu de son père et celle de Shimaro..La menace lui fera froid dans le dos, recommençant à craindre les esprits qui pour elle l'emmèneront un jour.

Et c'est avec un mélange de tristesse et de soulagement qu'elle verra la rousse s'en aller.."fais attention..." murmurera-t-elle, suivant les pas de la fille.

Poppée ne se retournera pas. Elle s’éloigne avec cette assurance qu’elle sait mettre dans chacun de ses gestes : « Chunga [Prends soin de toi] », dit-elle simplement. Il y a une étrange tendresse dans sa voix. Puis elle disparaît dans la jungle, avalée par la végétation dense et verdoyante.

Et rapidement, plus rien ne prouve qu’elle a existé.

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